Vaste entreprise que de vouloir répertorier les roses cultivées à la Renaissance, en Europe ! L'exercice a déjà maintes fois abouti et nous savons dans les grandes lignes quels sont les rosiers connus à cette époque mais je suis certaine que l'on peut encore affiner les recherches.
Principe fondamental en recherche historique, toujours revenir à la source. Pour la période qui nous intéresse (1540-1600), je suis donc partie du texte à la fois le plus ancien et le plus précis, celui de Rembert Dodoens. Ce médecin de Malines, dans l'actuelle Belgique, s'intéressa à la botanique pour l'exercice de son art et pour cette raison, écrivit un herbier. Une édition en flamand, sous le titre Crŭÿdeboeck, parut en 1554, suivie de la version en français Histoire des plantes, en 1557.
Les roses étaient bien sûr mentionnées auparavant dans les rares livres à usage médical mais sans description développée. Ce sont les ouvrages des trois compères flamands Rembert Dodoens, Matthias De Lobel (Lobelius) et Charles De L'Ecluse (Clusius) qui renferment les données les plus détaillées pour l'étude des roses historiques, gravures monochromes sur bois à l'appui. Mais j'ai comparé et analysé tous les écrits et images que j'ai pu trouver.
frontispice du Cruydt-Boeck, publié en 1618 |
Les représentations en couleurs de l'allemand Conrad Gesner (1565) et celles de Jacob van der Corenhuyse (1569), dans le magnifique Libri picturati, parachèvent le tableau. Elles permettent de confirmer les identifications des fleurs. J'ai repris aussi les illustrations en noir et blanc de Tabernaemontanus (1590), quoique moins fidèles.
Partons ainsi à la découverte des rares roses qui ornaient peut-être les jardins d'Henri IV et Catherine de Médicis. Elles étaient bien moins prisées que les bulbes à fleurs qui séduisaient par leur diversité (tulipes, narcisses, muscaris, jacinthes...). Finalement, les roses cultivées (par opposition aux roses sauvages) étaient d'un nombre très réduit, à la Renaissance.
- rosa alba
le rosier blanc, le rosier par excellence qui est représenté dans les enluminures, sur les peintures flamandes et italiennes... Les 2 formes rosa alba maxima et rosa alba semi-plena sont cultivées depuis la nuit des temps. En 1544, l'italien Pierandrea Matthioli les juge ordinaires et précisent qu'elles ne sont point pratiquées en médecine.
En 1570, le botaniste provençal Pierre Pena cite rosa candida, à l'aspect éclatant de la neige.
En 1588, l'allemand Joachim Camerarius reprend cette appellation et différencie rosa alba candida simplex et plena. Ils les nomment les rosiers à couleur de cendre car leur feuillage est gris-vert.
Camerarius |
rosa alba maxima |
- rosa rubra
la rose rouge odoriférante, selon Dodoens, en 1554. Le botaniste allemand Camerarius la nomme en 1588 rosa rubicunda. Il précise qu'elle est utilisée pour la fabrication de confiseries. C'est la rose sucrée des confiseurs, rosa gallica conditorum. Elle est rouge vif et compte plus de pétales que rosa gallica officinalis.
Elle est peinte vers 1569 par Jacob van Corenhuyse (Libri picturati A20), avec sa couleur rouge éclatante, ses nombreux pétales et son petit oeil vert central.
la rose rouge (Libri picturati) |
- rosa purpurea
'groß Provinß Rose', malencontreusement renommée rosa provincialis major par l'allemand Jacob Theodor (dit Tabernaemontanus), sur sa gravure de 1590. Cette confusion entre le mot Provinß (= de la ville française de Provins) et le mot Provinße (= de la Provence = provincialis), termes utilisés par Dodoens et Clusius, engendra des siècles durant de nombreux amalgames entre roses galliques, roses de Damas et roses centfeuilles.
Dessiné avec de grandes fleurs, drageonnant, sans aiguillons et avec 3-5 folioles, ce 'grand rosier de Provins' représente assurément la rose des apothicaires, rosa gallica officinalis. Dodoens la nomme précisément en 1554 rosa purpurea, la rose pourpre et la classe parmi les rosiers rouges (rosiers galliques). Mattioli explique que le jus des roses rouges est le plus estimé en médecine.
Elle est peinte vers 1569 par Jacob van Corenhuyse (Libri picturati A20), avec exactement sa forme actuelle et son coloris pourpre carminé. Peinture ci-dessous. Rosa gallica officinalis contient une vingtaine de pétales.
Libri picturati - 1569 |
Le Moyne de Morgues, vers 1580
- rosa parvifolia
'klein Provinß Rose', littéralement 'le petit rosier de Provins', par opposition au précédent. Tabernaemontanus refait la même erreur de traduction, en utilisant le terme provincialis. Il veut certainement faire référence à un rosier gallique. Le mot Provins désignera par extension et abusivement tous les rosiers galliques.
Tabernaemontanus est le premier à mentionner ce rosier et à l'illustrer. Rosa parvifolia porte de petites fleurs et 7 folioles effilées caractéristiques.
Ce rosier sera nommé par la suite rosa rubra humilis et en anglais, the dwarf red rose, le rosier rouge nain. Il mesure 60 cm.
- rosa holosericea
la rose brunâtre de Provins, selon Dodoens en 1554. Il la décrit d'une belle couleur rouge obscur, à l'odeur fort plaisante, la meilleure pour la médecine. Les textes anciens insistent sur cette rose de Provins, dont la couleur la plus foncée connue, fascinait déjà. Rosa gallica étant endémique en Europe, cette rose a t-elle été importée lors des croisades ? Le botaniste lyonnais Daleschamps l'assimile à la rosa milesia décrite par Pline l'ancien, soit la rose cultivée à Milet, en Turquie. Il précise qu'elle est haute en couleur et possède 12 feuilles, c'est-à-dire 12 pétales.
Elle est peinte vers 1569 par Jacob van Corenhuyse, avec sa forme simple, sa belle couleur carmin foncé et son grand cercle jaune d'étamines. Il l'appelle la rose de velours (fluweel roose).
Dès 1581, Lobelius la nomme rosa holosericea : la rose toute de soie, en latin (gravure NB). En 1588, Camerarius cite rosa milesia intense rubens simplex pour la pharmacopée. L'anglais John Gerard la compare aussi à du velours en 1596 (the velvet rose) et la trouve d'un rouge noir et profond, ressemblant à du velours rouge cramoisi.
En France, elle sera désignée sous l'appellation rosa gallica maheca, la rose veloutée. Il s'agit certainement de notre rose actuelle 'La Belle Sultane' (ou 'Violacea'), tout autant veloutée et ayant exactement 12 pétales.
rosa gallica Violacea |
- rosa nigricans
Une forme double de rosa holosericea existe déjà à la Renaissance. Elle est étudiée par Conrad Gesner vers 1565. Il l'illustre de plusieurs rangs de pétales rouge brunâtre entourant des étamines saillantes et avec un feuillage menu. Il semble s'agir de notre rose Tuscany, qui a ces caractéristiques.
En 1588, Camerarius la décrit rouge noirâtre (rubro nigricans) et violacée.
En 1595, elle est représentée par l'allemand Daniel Fröschl, avec une couleur franchement noire et de nombreux pétales, dans son album de fleurs totalement méconnu, le 'Codice Casabona'. Cet herbier peint avait été commandé par Joseph Goldenhuyse dit Casabona, herboriste du Jardin de simples de Pise, en Italie.
Daniel Fröschl, Codice Casabona, 1595 |
Tuscany |
- rosa francofurtana
Clusius dit avoir reçu en 1576, à Vienne, un rosier très grand et sans piquants, de la part du Dr Johannes Schröter senior, médecin à Iena en Thuringe (Allemagne). Celui-ci l'avait obtenu du comte de Mansfeld.
Clusius le nomme en 1583, rosa sine spinis, la rose sans épines et en donne une description. Ses feuilles vert foncé sont lustrées dessus, blanchâtres dessous. Les fleurs, à pétales multiples et au parfum agréable, sont plus grandes que les roses de Damas. Elles sont de couleur moyenne, entre les rouges et les Damas [entre rouge et rose].
Le botaniste ajoute qu'il l'a vu de nombreuses années plus tard dans les jardins des praticiens de Munich et de Francfort. D'où son appellation future, rosa francofurtana.
Clusius, 1583 |
Cette rose a un réceptacle peu commun qui s'évase vers le sommet et qui est couronné d'un étranglement en son milieu. L'enlumineur Joris Hoefnagel, qui résidait à Francfort, a peint fidèlement cette rose à l'état de bouton, avec sa caractéristique botanique.
Joris Hoefnagel, 1594 |
- rosa damascena
Elle est décrite en 1540 par le médecin andalou Nicolas Monardes sous le nom rosa persica ou l'Alexandrine. Il raconte qu'elle est appelée par les français, rosa damascena, car on croit qu'elle vient de Damas. Sa couleur est entre blanc et rouge. Il poursuit : Chez nous, cela fait près de 30 ans qu'elle a attiré l'attention. Au départ, c'était un médicament précieux pour les nobles, maintenant, on en trouve vraiment partout. Le rosier existe chez nous mais a plus la taille d'un buisson que d'un arbre. Il est armé de nombreux piquants pointus.
En 1554, Dodoens la localise comme étant la rose de Provence, ni rouge, ni blanche et plus haute que la rose rouge. En 1570, le provençal Pierre Pena compare sa couleur aux joues d'une jeune fille et la nomme rosa pallida, la rose pâle.
la rose de Province (sic) - 1569
Libri picturati
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En 1576, Lobelius cite une rosa damascena, cultivée par Adrianus van der Gracht et la décrit comme la rose de Provence, au vif parfum. L'adjectif 'rose' n'existe pas encore dans le vocabulaire, le terme utilisé est incarnat. En 1588, Camerarius l'appelle ainsi rosa incarnata, la rose incarnate.
On suppose qu'elle est originaire de Syrie et qu'elle était cultivée en Provence pour la distillation. Les médecins Lobelius et Clusius ont étudié à Montpellier. Ils ont sans nul doute rapporté en Flandre, des plantes du Sud de la France.
illustrée par Joris Hoefnagel entre 1591-1596 |
La forme remontante, rosa damascena semperflorens, existait-elle déjà à cette époque ? C'est fort possible. En 1570, Pierre Pena évoque une franche remontée de roses mais sans donner de nom. Voir la conclusion de cette étude.
L'anglais John Gerard est tout aussi imprécis en 1597, lorsqu'il dit en parlant des rosiers : " Ils fleurissent de fin mai à fin août, et quelques temps après, parce que les extrémités et les branches superflues sont coupées à la fin de la floraison, ils fleurissent alors parfois même jusqu'à octobre et au-delà ".
- rosa damascena versicolor
Dès 1576, Lobelius mentionne l'existence d'une rose de Provence, parfumée, entièrement blanche ou mélangé de blanc et de rose. Il ajoute qu'elle a été obtenue avec grand succès par l'éminent et habile Dr. Adrianus van der Gracht, à Gand (Belgique). Il s'agit de la rose bicolore York and Lancaster.
- rosa damascena maxima
Les jardiniers Hollandais commencent à rechercher des roses de plus en plus doubles, c'est-à-dire comportant le plus de pétales. Lobelius cite en 1581 une rosa damascena maxima, rose de Provence très double (gravure NB).
Conrad Gesner illustrait déjà vers 1565-1569 une rose de Damas avec de nombreux pétales. Peinture ci-dessous. En allemand, c'est la liebfarge Rose : la rose de couleur douce.
Ce rosier, de nos jours, est conservé sous le nom "rosier de Damas', rosa damascena Mill., du nom du botaniste anglais Philip Miller.
Cette rose a été peinte avec précision en 1585 par le cartographe Jacques Le Moyne de Morgues. Il a bien restitué les folioles ovales gris vert, plus pâles dessous, les pétales lâches blanc rosé en périphérie et le réceptacle allongé, rétréci au calice.
Le Moyne de Morgues, 1585 |
- rosa centifolia
C'est l’avènement des roses pleines. Clusius raconte qu'il a reçu deux rosiers d'un certain Johan van Hogheland. L'un de ces rosiers a fleuri en 1591 avec des fleurs larges, très doubles et très parfumées. Clusius la baptise rosa centifolia batavica. Les bataves sont les hollandais. La rose centfeuilles de Hollande est née.
En 1597, l'anglais Gerard la nomme alors rosa hollandica, the great Holland rose ou great province rose. Il dit qu'elle a la même couleur que la Damas (province rose) mais qu'elle est plus grande, plus double. Les étamines sont presque invisibles. C'est une sorte de rose de Damas, meilleure et améliorée par l'art.
Le peintre allemand Georg Flegel l'immortalise sous le nom batavische Rose.
Conclusion
Cette étude n'est pas exhaustive et ne présente pas les roses botaniques, sauvages. Citons tout de même deux roses rares mais connues en Europe avant 1600 : Rosa moschata, la rose musquée et Rosa cinnamomea pour laquelle j'ai déjà rédigé une notice ici.
Comme mot de fin, je reprends le charmant texte de Pierre Pena datant de 1570, traduit du latin :
" Les roses cultivées sont la coqueluche du monde et un grand honneur pour la rose. Elles méritent amplement un billet. Elles sont de différentes couleurs, les pourpres sanguines, les mélangées de blanc et de rouge, les pâles, les blancs de neige. Certaines ont presque les feuilles persistantes et sont aussi étonnamment fructueuses. Elles donnent souvent deux fois et parfois vous pouvez voir trois fois la floraison."
Nicolas MONARDES, de rosa et partibus ejus, Séville, 1540
MATTIOLI, Commentaires sur les 6 livres des simples de Dioscoride, 1544
Rembert DODOENS (traduction Charles de l'ESCLUSE), Histoire des plantes, p. 457, Anvers, 1557
Karel van SINT OMAARS, Libri picturati A20, ca 1564-1569
Conrad GESNER, Historia plantarum, 1565
Pierre PENA, Matthias DE LOBEL, Stirpium adversaria nova, p.446, Londres, 1570
Matthias DE LOBEL, Plantarum seu stirpium historia, p.618, Anvers, 1576
Matthias DE LOBEL, Kruydtboeck, p.240, Anvers, 1581
Matthias DE LOBEL, Icones stirpium, p. 206, Anvers, 1591
CLUSIUS, Rarorium aliquot stirpium, Anvers, 1583
CAMERARIUS, Kreutterbuch Deß Hochgelehrten und weitberühmten Herrn D. Matthioli, p.55, 1586
Joachim CAMERARIUS, Hortus medicus, Nuremberg, 1588
TABERNAEMONTANUS, Neuw Kreuterbuch, 1588, réédité 1625
TABERNAEMONTANUS, Plantarum seu stirpium, Frankfurt, 1590
Daniel FROESCHL, Codice casabona, 1595
GERARD, The Herball, p. 1077, Londres, 1597
CLUSIUS, Rarorium plantarum historia, 1601
Crédits photographiques :
https://jbc.bj.uj.edu.pl/libripicturati
http://roses.shoutwiki.com/
https://collections-roseraie.valdemarne.fr/
Coucou Alix
RépondreSupprimervoila un article fort détaillé et très intéressant, je l'ai lu de bout en bout en flashant sur cette jolie rosa damascena Mill que je verrais bien près de ma terrasse aux parfums d'autant qu'elle a un port gracieux et une floraison ravissante qui serait du plus bel effet au jardin
Tu es une bible des roses à toi toute seule ;-)
Merci pour ce joli article qui met en lumière les rosiers oubliés
Je te fais de gros bisous
Coucou Chris, comment vas-tu ?
SupprimerAvec les vacances, j'ai délaissé les blogs des copines pour d'autres découvertes mais je vois à l'instant que tu as publié toi aussi. Je vais te lire.
Rosa damascena Mill. est en rupture de stock chez Loubert pour cet hiver. Je ne sais pas s'il est dispo chez d'autres rosiéristes.
Bises sous un beau soleil, ça pousse à vue d'oeil !
A very beautiful and interesting post.Have a wonderful weekend ahead.
RépondreSupprimerThank you Marijke !
SupprimerSee you soon.
Scotchée je suis à chaque fois par tes talents d'historienne des roses.Tu dois y passer un temps fou ! Mais pour un résultat passionnant ! As tu une formation universitaire dans ce domaine ? Si ce n'est pas indiscret ! Je me contente de les admirer et de lire tes découvertes !Bravo à toi Alix !Belle soirée sous la pluie d'orage chez nous !Bises.
RépondreSupprimerOui, j'ai une formation universitaire, bac+5 mais ni en histoire, ni en lettres !
SupprimerCes articles historiques me prennent des mois car il y a beaucoup de travail de recherches.
Et les mots ne suffisent pas, il faut aussi une belle iconographie. Cela me passionne.
Orage chez toi ? Soleil ici, on n'a pas eu d'hiver et j'attends la pluie.
Bises Maryse
Hello, an amazing Information dude. Thanks for sharing this nice information with us. Irrigation toit vert
RépondreSupprimeraprès avoir lu le livre d'Audur Ava Olafsdottir, je cherchais une référence à une éventulle rosa candida ayant existé; votre blog est le seul à la mentionner, je n'ai rien trouvé auparavant sur les multiples livres en particulier sur les roses anciennes et botaniques que je possède; même si cette rose n'a peut-être rien à voir avec le livre d'A.A. Olafsdottir, il est encourageant de trouver des références aussi intéressantes que votre texte; merci !
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