Le grand apothicaire Basilius Besler (1561-1629), originaire de Nuremberg, fut charger d'y planter et acclimater de nombreuses plantes rares. Ainsi naquit le jardin appelé Hortus Eystettensis = le jardin d'Eichstätt, nommé en latin, la langue universelle comprise par tous les savants européens.
Basilius Besler reçut l'aide de deux autres botanistes, Charles de L'Ecluse dit Clusius et Joachim Camerarius, aussi natif de Nuremberg. Ces médecins avaient eux-mêmes déjà constitué des jardins botaniques et écrit sur le sujet.
Un catalogue des espèces contenues dans ce jardin fut publié pour la première fois en 1613. Véritable herbier illustré, il constitue une œuvre majeure pour l'étude des roses botaniques (et des autres plantes), observées à la charnière entre le Moyen Age et l'époque moderne.
exemplaire conservé à la bibliothèque de Wiesbaden (Allemagne) www.wissensbild.de |
Les gravures de cet herbier sont magnifiques. Chacune fait l'objet d'une courte description en latin, inscrite sur la page suivante. Cet atlas du monde végétal compte 1084 représentations de plantes dont 21 portraits de roses. Mais les roses immortalisées sur ces planches existent-elles toujours ? Qui sont-elles ? Il n'est pas aisé d'identifier ces variétés peintes, pour plusieurs raisons.
Secundo, les appellations ont bien sûr varié avec le temps. Les botanistes ont renommé les roses à leur guise, il n'y avait pas encore de nomenclature sérieuse (celle de Gaspard Bauhin reste confuse). L'exemple le plus probant s'applique à rosa damascena. Selon les auteurs anciens, elle concernait rosa moschata ou notre rose actuelle, la rose de Damas.
J'ai ainsi comparé systématiquement toutes les sources disponibles datant des XVIème et XVIIème siècles (Dodoens, Camerarius, Clusius, Gerard, Bauhin...) pour effectuer les rapprochements avec nos dénominations de roses actuelles. Je me suis aidée aussi des tentatives d'identifications (incomplètes) des rosomanes érudits contemporains que sont Gerd Krüssmann, François Joyaux et Daniel Lemonnier. Et nous ne sommes pas toujours d'accord !
Je regrette de ne pas avoir pu consulter l'ouvrage de Gérard Aymonin, qui était chercheur au Museum national d'Histoire naturelle de Paris et qui a rédigé une étude globale sur le sujet : L'Herbier des quatre saisons par Basilius Besler, paru en 1987, aux éditions Mazenod, réédité en 2009.
En attendant, voici ma "version des faits", si je puis dire. Avis aux spécialistes pour les corrections éventuelles.
rosa damascena flore pleno = rosa moschata plena, rosa muscata alba mutiplex
rosa damascena flore simplici = rosa moschata
rosa rubicunda saccharina dicta = rosa hungarica, rosa gallica conditorum, la rose des confiseurs
rosa lacteola camerary = Rosa alba maxima, la rose centfeuilles des Romains (selon Camerarius)
rosa ex rubro nigricans flore pleno = rosa holosericea, rosa maheca, rosa gallica violacea, rose La Belle Sultane
rosa lutea maxima flore pleno = rosa hemisphaerica
rosa provincialis flore incarnato pleno = rosa pallida, rosa incarnata, rosa damascena, rose de Provence
rosa centifolia rubra = rosa centifolia batavica, la rose Centfeuilles de Hollande
rosa praenestina variegata = rosa gallica versicolor, Rosa Mundi
rosa eglenteria = rosa pendulina, rosa alpina, l'églantier des Alpes
rosa milesia rubra flore simplici = rosa domestica punicea (la rose pourpre indigène), rosa purpurea (Dodoens), rosa rubra simplex, rosa gallica officinalis, la rose des apothicaires
rosa sylvestris flore rubro = rosa canina
rosa sylvestris odorata incarnato flore = rosa rubiginosa
rosa praecox spinosa flore albo = rosa littoralis, rosa spineola, rosa spinosissima, rosa pimpinellifolia, rose Pimprennelle
rosa rubra praecox flore simplici = rosa silvestris pomifera, rosa villosa
rosa cinnamomea = rosa majalis plena, rose Cannelle, rose de Mai
rosa provincialis flore albo = rosa damascena versicolor, rose York et Lancastrerosa milesia flore rubro pleno = rosa holosericea multiplex, rose de velours, rose Tuscany
rosa alba flore simplici = rosa candida, rosa alba semiplena
rosa flore albo pleno = rosa alba suaveolens
Pour résumé :
- les "rosa damascena" correspondent à nos roses musquées, les rosa moschata.
- les "rosa milesia" sont assimilables aux roses galliques. Certains auteurs estiment qu'il s'agit des antiques roses de Milet (en Turquie), décrites par Pline l'Ancien, au Ier siècle après JC.
- les "rosa provincialis" correspondent à nos roses de Damas. Originaires de Perse (Iran) et de Syrie, elles furent peut-être introduites au temps des croisades et cultivées en Provence, d'où leur nom.
- les "rosa centifolia" se rapportent aux roses de Damas, hybridées par les Hollandais à la fin du XVIème siècle, soient nos actuelles roses centfeuilles.
- les "rosa alba" sont nos classiques roses blanches et n'ont pas changé de nom.
Bibliographie
Rembert DODOENS (traduction C. de L'ECLUSE), Histoire des plantes, p. 457, Anvers, 1557
Konrad GESNER, Hortus plantarum, 1565
Karel van SINT OMAARS, Libri picturati A20, ca 1564-1569
Pierre PENA, Matthias DE LOBEL, Stirpium adversaria nova, p.446, Londres, 1570
Matthias DE L'OBEL, Plantarum seu stirpium historia, p.618, Anvers, 1576
Matthias DE L'OBEL, Kruydtboeck, p.207, Anvers, 1581
Joachim CAMERARIUS, Kreutterbuch deß Hochgelehrten und weitberühmten Herrn D. Matthioli, p.55, 1586
Joachim CAMERARIUS, Hortus medicus et philosocus, p.142, Nuremberg, 1588
TABERNAEMONTANUS, Neuw Kreuterbuch, 1588, réédité 1625
Matthias DE L'OBEL, Icones stirpium, p.206, Anvers, 1591
John GERARD, The Herball, p. 1077, Londres, 1597
Charles de L'ECLUSE (alias CLUSIUS), Rarorium plantarum historia, p.113, 1601
Guillaume ROVILLE, Commentaires sur les 6 livres de Dioscoride par MATTIOLI, p.86, 1605
Joachim CAMERARIUS Kreutterbuch dess hochgelehrten und weitberümbten...Matthioli, p. 55-56, 1611
Basilius BESLER, Hortus eystettensis, 1613
Crispijn VAN DE PASSE, Hortus floridus, pl.12,1614
Gaspard BAUHIN, Pinax theatri botanici, p.482, 1623
John PARKINSON, Paradisi in sole, p.412, 1629, réédité en 1904, Londres
François JOYAUX, Roses anciennes, p.73, éd° Cyel, 2011
Daniel LEMONNIER, Le livre des roses, p.34-35, p.48, éd° Belin, 2014.
Sources photographiques :
http://www.teylersmuseum.nl
http://plantillustrations.org
http://www.photo.rmn.fr
https://www.vialibri.net